Les Cahiers de l’Âne
Les Cahiers de l’Âne n° 53 nov-dec 2012
Des ânes et des hommes.
Martine Jouclas, une pionnière chez les ânes
Martine Jouclas est en France une figure du monde de l’âne.
Tout a commencé en 1979 avec l’arrivée de son premier âne et la vie dans une grande bâtisse Lotoise.
A cette époque, elle était sûrement loin d’imaginer qu’elle tiendrait une place prépondérante dans ce qui allait devenir la randonnée avec des ânes bâtés, l’approche de l’âne et sa revalorisation.
Le stage de shiatsu va commencer dans 10 minutes.
Au programme, initiation à cette technique asiatique prisée depuis quelques années dans le monde du cheval et dont l’âne commence à bénéficier.
Philippe Della Vedova, notre formateur, se présente.
Autour de la table, 4 stagiaires – Florence (deux fois !), Yvan et Philippe- feront de même.
Quant à Martine, initiatrice de plusieurs formations pratiques se déroulant dans son établissement et chez ses partenaires, elle s’affaire en cuisine.
Ce midi, nous ne seront pas moins d’une quinzaine à table, les stagiaires de la formation ‘Attel’âne’ et leur animateur Serge Moro venant nous rejoindre pour déjeuner.
Alors, mieux vaut anticiper le potentiel appétit de chacun.
Le centre de formation
Nous sommes en plein cœur de l’activité qui a grandi au fil des années, ici, à l’Ânerie.
Ce lieu de formation propose plusieurs modules de stages. Chaque mois un stage Général » Le tour de l’âne » accueille de futurs âniers et des particuliers soucieux de mieux comprendre les besoins de leur animal. » S’il y en a un à faire, c’est celui-là ! » nous précise Martine, » il fait avancer de deux ans sur son apprentissage de l’âne. » Par ailleurs, trois fois par an se déroulent les stages ‘Chuchot’âne’ et ‘Attel’âne’, ici ou chez des partenaires âniers.
C’est en novembre 1994 que Martine organise une 1ère formation en pays lotois. Six stagiaires répondent présent dont deux pris en charge par les organismes de formation professionnelle, l’Ânerie ayant obtenu un numéro d’agrément pour cela.
L’idée de monter une structure proposant des stages est venue quand Martine, alors présidente de la Fédération Nationale Ânes et Randonnées (FNAR)et cumulant de fait
le travail de secrétaire, trésorière et animatrice, ne pouvait plus répondre à toutes les demandes de renseignements émanant de personnes souhaitant s’installer, randonner ou acheter un âne.Les autres âniers/adhérents de la FNAR étant peu intéressés par l’idée de donner des formations, Martine prit cette activité à son compte, parallèlement à la location d’ânes qu’elle proposait déjà depuis 1980.
Échanger pour mieux évoluer
Quand on regarde le parcours singulier de cette femme, de toute évidence Martine a une capacité à réunir les gens et les compétences pour porter des projets autour de l’âne, que ce soient des projets communs ou individuels. Apprendre, comprendre, transmettre, échanger et progresser sont comme des clefs de voute pour elle. » En 1989 quand nous avons créé la FNAR, nous étions une poignée d’âniers, dont André Guérin en Ardèche et Pascal Fontenelle à Bédarieux.
Ils étaient avec Claude et moi les précurseurs de la randonnée bâtée.
J’ai appris beaucoup avec ces gens-là, nous avons parlé âne pour savoir comment ça se passait pour chacun de nous, de matériel aussi, rien n’existait à l’époque.
Voilà, on a avancé ensemble. » En 20 ans, c’est tout un réseau qui se construit autour de l’âne en regroupant un nombre grandissant de particuliers et de professionnels aux activités asines multiples pour la plupart.
Précurseur en la matière, Martine Jouclas a ainsi guidé un grand nombre de futurs professionnels vers un nouveau métier. Car en l’espace d’une petite vingtaine d’années, le profil des stagiaires a évolué. Devant l’instabilité de l’emploi salarié et le stress que cela dégage, de plus en plus de personnes envisagent de changer de parcours et de mode de vie. L’âne ayant gagné en respectabilité et aussi en visibilité, monter une structure avec des ânes ou devenir prestataire de service avec des ânes est envisageable.
Mais tout cela ne s’invente pas et pouvoir profiter de l’expérience de personnes qui ont défriché et stabilisé ce secteur est en soi une grande chance, car tout était à faire quand Martine et Claude Lacuche ont commencé. » Aujourd’hui, les gens acceptent beaucoup plus l’idée, voire ont beaucoup plus besoin de suivre une formation. Au début, beaucoup estimaient que l’âne est un animal facile et qu’on n’avait pas besoin d’être formés. Maintenant, ils sont conscience qu’on est dans une société citadine qui a perdu le lien avec l’animal et que ça vaut le coup de faire un petit effort pour apprendre un peu mieux et un peu plus vite . » A noter également que beaucoup plus de personnes viennent faire un stage avant d’acquérir un âne. » ça, c’est intéressant, je les embrasse quand ils commencent comme ça ! c’est beaucoup mieux. »
Relation âne et humain
Le 1er conseil de Martine à l’attention d’un futur propriétaire d’âne serait qu’il sache prendre du temps pour s’occuper de son âne. » Ce temps doit être un plaisir. Il faut qu’il puisse s’occuper de son âne, il faut créer une relation. Tu n’achètes pas une relation. Si c’est pour ne voir son âne le week-end, ce n’est pas la peine. »
Pour Martine, regarder l’âne autrement permet aussi de gagner en connaissance sur soi. » L’âne te renvoie toujours à toi, et ça on ne peut pas le dire comme ça, parce qu’il y a beaucoup de gens qui ne sont pas prêt à l’accepter. » Un des problèmes de l’âne, c’est le transfert affectif que des gens peuvent faire sur lui.
Il réceptionne toutes les énergies, toutes les tensions autour de lui. Donc à nous d’en tenir compte dans notre approche. » Les ânes sont de véritables éponges.
Le cheval est un animal migrateur dont la survie passe par la vivacité et la fuite. Donc, c’est un animal extraverti. Alors que l’âne, c’est un animal
sédentaire, qui ne se soumet pas, qui n’obéit jamais, qui est autonome, qui est curieux et qui bloque quand il y a un problème. Sa sauvegarde, c’est le blocage et la réflexion. Du coup, c’est un animal qui est introverti. » L’exemple du cheval que l’on prévient avant de passer derrière lui, nous le connaissons bien ; avec les ânes ce type de précaution n’est pas impératif.
L’âne sait, il est au courant de tout ce qui se passe autour de lui. « Un âne peut très bien monter 75 fois dans un van sans rechigner et bloquer la 76ième.
Il va y avoir un élément nouveau qu’il a repéré, lui, et que nous n’avons pas vu. »
Cette capacité à absorber son environnement (par une observation que développe la curiosité de tout) est un axe d’apprentissage pour que les personnes apprennent à se gérer elles-mêmes.
Ainsi leur relation avec l’âne en sera améliorée. Et cela permet aussi et de manière plus aisée avec un âne qu’avec un cheval, d’apprendre à l’âne des choses nouvelles à n’importe quel âge. » ça veut dire qu’il n’est absolument pas impossible de mettre un âne de 15 ans à l’attelage, par exemple. »
L’âne, animal pluri-actif
Avec la création en 2011 de l’Unâp (Union nationales des Âniers Pluriactifs) en écho à la création du SPLAB (Syndicat des Loueurs d’Ânes Bâtés) Martine souhaite mettre en avant l’âne pluriactif. » L’âne n’excelle en rien, mais il est très bon dans plein de trucs. Voilà encore une différence avec les chevaux. Nous avons spécialisé ces derniers depuis longtemps, or l’âne, s’il a été à un moment spécialisé dans quelques chose, c’est en élevage pour faire la mule. On n’a jamais élevé des ânes pour eux-mêmes. »
Tout cela pour éviter de réduire l’âne actif à la randonnée, parce qu’il existe chez cet animal une capacité à apprendre en continu et que son tempérament et sa morphologie peuvent s’adapter à plusieurs activités, même si certains traits sont plus en adéquation avec l’une d’entre elles.
Aujourd’hui autour de l’âne se développent des métiers aussi différents que producteur de lait d’ânesse, que loueurs d’âne ou maraîcher en traction animale.
On ne peut faire l’économie de tous ces parcours possibles et déjà existants.
Pour Martine Jouclas, le monde de l’âne aujourd’hui se divise en deux.
Il y a ceux rattachés aux ânes de race et les autres. » Ce qui veut dire qu’il y a des gens qui ont une ligne de conduite liée à la race qu’ils représentent et parmi les autres, il y a beaucoup de gens que l’on ne connaît pas.
Ils sont complètement isolés et tiennent à le rester.
Ceux-là sont relativement inaccessibles. Et parmi eux, il y en a beaucoup qui vendent des ânes, et il y en beaucoup qui font du n’importe quoi ! Certains ne savent pas qu’il faut s’occuper des pieds de l’âne et croient que c’est normal qu’ils soient en forme de babouche… ou d’autres qui continuent à gaver leurs ânes.
Pour notre interlocutrice, il y a encore beaucoup de chantiers en cours et il faut continuer à avancer.
Et que ça passe par les télés, par Les Cahiers…
Il faut médiatiser l’âne soigné et actif. Parce que laisser un âne au fond d’un pré, ça ne s’appelle pas aimer un âne.
Ce n’est pas le respecter. Les ânes, ils ont besoin de présence, de faire des activités.
Nous, on a besoin d’activité, de relations sociales, pour les ânes, c’est pareil.
Quelques dates.
- 1979 Les premiers ânes arrivent à l’Ânerie
- 1980 Au printemps, première location d’ânes
- 1985 ‘Les Âniers Réunis’ regroupent les premiers âniers professionnels
- 1989 Création de la FNAR (Fédération Nationale Ânes et Randonnées) qui a failli s’appeler ANAR mais ils n’ont pas osé.
- 1996 Martine Jouclas quitte la FNAR
- 1992 Les Haras Nationaux marquent leur présence dans le monde de l’âne par la reconnaissance de la race GNdB, les autres races suivront.
- 1998 Arrêt de la location d’ânes, en cause la construction à proximité de l’autoroute A20. Maintien des stages de formation.
- 2011 Création de l’Union Nationale des Âniers Pluriactifs.